Emilie El Khoury, Ph.D, Post-Doctorante, Centre for International and Defense Policy (CIDP), Queen’s University
En qualité d’anthropologue, mon objectif fondamental réside dans la compréhension de la diversité culturelle au sein de différentes sociétés, y compris celle à laquelle nous appartenons (Darnell, 2009). Mon intérêt se porte particulièrement sur les questions liées à la sécurité et au bien-être des populations, ainsi que sur les éléments susceptibles de compromettre ces aspects essentiels. Cette quête s’opère à travers une approche holistique qui englobe la totalité des dimensions de mon champ d’études, qu’elles soient évidentes ou plus subtiles. Il est impératif de souligner, en tant qu’anthropologue, que malgré notre partage d’une culture commune en tant qu’êtres humains, d’autres cultures s’épanouissent au sein des différentes sociétés, groupes et individus, apportant chacune une richesse distinctive propre. Il convient de noter que la culture s’acquiert et se transmet par le biais de mécanismes tels que l’enculturation et diverses formes de socialisation, et qu’elle se caractérise par une structure déterminée, une adaptabilité inhérente et la capacité à véhiculer des symboles (Tylor, 1920; Kulckhohn and Kelly, 1945; Damen, 1987; MacDonald, 1991). Mon attention se portera plus particulièrement sur l’aspect adaptatif de la culture, suscitant des interrogations spécifiques à cet égard.
La culture émerge comme un mécanisme d’adaptation essentiel, se distinguant des animaux qui naissent pourvus d’instincts de survie innés. Les êtres humains, quant à eux, naissent dépourvus de tels instincts, et leur survie biologique repose sur leur capacité à s’ajuster à leur environnement (Cowgill, 2004; Hayden, 2009). Cette faculté d’adaptation présente des variations significatives en fonction de la diversité des environnements. Le concept d’habitat ou de niche écologique permet d’expliquer comment les populations se modèlent pour trouver leur place au sein d’une variété d’écosystèmes, dans le but de garantir leur survie et leur reproduction. Il est toutefois primordial de noter que l’environnement physique peut à la fois favoriser et entraver la survie humaine, exposant ainsi l’habitat ou la niche écologique choisie pour vivre à des menaces potentielles, notamment les catastrophes naturelles telles que les tremblements de terre et les inondations (Pérez, 2021).
Que faire lorsque notre environnement change brusquement sans que nous ayons le contrôle, et que nos méthodes culturelles de survie, comme les politiques d’infrastructure, les initiatives humanitaires, ou les approches sociales, ne s’adaptent plus à ces changements inattendus ?
Cette question a revêtu une acuité particulière au début de l’année 2023, alors que j’étais témoin à distance, grâce aux moyens de communication contemporains, des conséquences tragiques des séismes survenus en Syrie et en Turquie le 6 février, causant la perte de plus de 500 000 vies humaines recensées (CNRS, 2023). Quelques mois plus tard, en août 2023, le Maroc a également été frappé par des tremblements de terre, entraînant la disparition de plus de 2600 personnes (Andrews, 2023). Plus récemment, en octobre 2023, l’Afghanistan a été secoué par des secousses sismiques, entraînant la disparition de plus de 2000 individus et le déplacement de milliers d’autres (LeDevoir, 2023). En septembre de la même année, la Libye a été touchée par la tempête Daniel, ayant pour conséquence la disparition de plus de 11 000 personnes, avec plus de 43 000 déplacés (FranceInfo, 2023). À posteriori, il est apparu que ces inondations avaient été déclenchées par la rupture de deux barrages, provoquant un tsunami dévastateur. Dans ce contexte, une interrogation a surgi: pourquoi les responsables de ces barrages avaient-ils choisi de les maintenir fermés, malgré la proximité de la tempête et l’observation de son passage dans les pays voisins, sans informer la population de l’imminence de la catastrophe et de l’insuffisance des moyens de secours ?
Évoqué précédemment, ce qui nous unit en tant qu’êtres humains réside dans notre culture partagée, notre capacité à nous adapter à notre environnement, ainsi que notre habileté à établir divers types de relations interpersonnelles, qu’elles soient d’ordre économique, social, politique, ou personnel, en vue de vivre ensemble de manière harmonieuse. Il est indéniable que, malgré la profonde interconnexion et la connectivité omniprésente à tous les niveaux de notre société, que ce soit, entre autres, sur le plan économique, politique, scientifique, environnemental ou social, il y a un problème majeur de communication manifeste concernant la diffusion d’informations cruciales entre les individus, que ce soit en ce qui concerne les éventuelles secousses sismiques ou la gestion des pluies torrentielles. Ces questions, d’une importance vitale, nécessitent des solutions concrètes pour mieux adapter notre instinct de survie “humain” qui est notre “culture” et les “différentes cultures” en vue d’une réactivité améliorée face à de telles situations.
Références :
Andrews Robin George, (2023). “Maroc : pourquoi le séisme a-t-il été si dévastateur ? De nouvelles données satellites ont révélé où et comment le sol de la région s’est déformé durant le tremblement de terre”, National Geographic, sur Internet: (https://www.nationalgeographic.fr/sciences/tremblement-de-terre-maroc-pourquoi-le-seisme-a-t-il-ete-si-devastateur)
Cowgill, George L. (2004). “Origins and Development of Urbanism: Archaeological Perspectives.” Annual Review of Anthropology, 33(1): 525–549.
CNRS, (2023). “Séismes en Turquie et en Syrie : que s’est-il passé ?”, sur Internet: (https://www.insu.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/seismes-en-turquie-et-en-syrie-que-sest-il-passe)
Damen, L. (1987). Culture learning: the fifth dimension in the language classroom. Cambridge: Cambridge University Press.
Darnell, Regna, (2009). “Anthropological Approaches to Human Nature, Cultural Relativism and Ethnocentrism.” Anthropologica, 51: 187–194.
FranceInfo, (2023). “Les inondations en Libye ont fait plus de 3 800 morts, selon un nouveau bilan”, sur Internet:(https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/libye/inondations/les-inondations-en-libye-ont-fait-plus-de-3-800-morts-selon-un-nouveau-bilan_6081384.html)
Hayden, Brian, (2009). “The Proof is in the Pudding: Feasting and the Origins of Domestication.” Current Anthropology, 50: 597–601
Kluckhohn, Clyde and Wm Kelly (1945). “The concept of Culture”, in The science of man in the world crisis, Ralph Lindon. Ed. NewYork, Columbia University Press
Le Devoir (2023). “Des funérailles collectives après le séisme en Afghanistan”, sur Internet: (https://www.ledevoir.com/monde/799591/bilan-seisme-afghanistan-atteint-2000-morts-selon-talibans)
MacDonald, George F. (1991). “What Is Culture?” The Journal of Museum Education, 16(1): 9–12.
Pérez, Patrick (2021). Habiter le monde. Espaces, paysages et architectures chez les Hopi d’Arizona et les Lacandon du Chiapas. Ed. par Annick Holli, Marlène Albert-Llorca et Guillaume Rozenberg. La Roche-sur-Yon, Dépaysage.
Tylor, Edward (1920) [1871]. Primitive Culture: Research into the Development of Mythology, Philosophy, Religion, Art, and Custum. London: John Murra