Par Olivia Roy-Malo, Université Laval
Lors d’un séjour de recherche à Lac-Édouard, petit village isolé dans une région rurale québécoise, une résidente m’a fait part de ses souvenirs d’une mobilisation citoyenne qui avait eu lieu dans les années 1990 pour maintenir l’école du village : « On a travaillé beaucoup parce que, dans les petites communautés, il faut toujours se défendre. Toujours. Il faut tout le temps gagner ce que l’on a ». À l’époque, les parents avaient eu gain de cause. Malheureusement, dix plus tard, l’école a fermé ses portes. En 2008, un nouveau groupe de parents souhaitant que leurs enfants reçoivent une éducation de proximité lançait l’initiative de la Petite école. Cette formule, inspirée de l’éducation à domicile, réunit des enseignant.es bénévoles qui désirent s’impliquer auprès des enfants et contribuer au dynamisme de leur milieu. Depuis plus de 10 ans, ces personnes se sont investies dans cette entreprise éducative, elles ont réussi à obtenir des fonds et aujourd’hui la Petite école est reconnue à titre de projet pilote par le centre de services scolaire (CSS) ce qui leur permet d’accueillir une enseignante à temps partiel. Or, la crainte que le CSS retire son aide persiste. L’année dernière, cinq jeunes fréquentaient la Petite école. Cette année, ils ne sont que deux. Sans services scolaires au village, il y a peu de chance d’attirer de nouvelles familles et sans de nouvelles familles, l’avenir de la Petite école paraît fragilisé.
Une histoire similaire se vit à Saint-Elzéar-de-Témiscouata, région reconnue comme un bastion de la résistance rurale dans les années 1970. Il y a trois ans, l’école s’est retrouvée au seuil critique de 12 élèves. Le gouvernement n’entend pas subventionner des établissements de cycle primaire en deçà de ce nombre. Les responsables du CSS, la direction scolaire ainsi que le conseil municipal se sont alors rencontrés pour élaborer des stratégies d’attractivité. L’idée d’une école entrepreneuriale à portée communautaire a été retenue par l’équipe pédagogique. Surnommée le C-FIER, cette initiative invite les enfants à s’engager dans des projets à l’image de leurs passions tout en redéployant ces activités dans leur collectivité. Dans ce cas-ci, le désir de susciter un nouvel engouement autour de l’établissement scolaire se mêle à des aspirations de nature pédagogique. Pour plusieurs acteurs, le C-FIER représente une occasion d’explorer d’autres modèles éducatifs. À l’an deux du projet, l’école aura réussi à attirer une dizaine d’élèves au total. La menace de fermeture semble s’estomper peu à peu.
En 2018, Sainte-Lucie-de-Beauregard, un village près de la frontière états-unienne, a voulu relever un défi similaire. Après que les activités de l’école furent suspendues à cause d’un nombre trop faible d’inscriptions, un comité de maintien réunissant des parents et des conseillers municipaux a imaginé les prémisses d’un projet scolaire axé sur l’apprentissage en plein air. Leur plan incluait un réaménagement complet de la cour d’école pour y introduire des sentiers, un jardin communautaire, une piste d’hébertisme. Étant au cœur du Parc régional des Appalaches, la municipalité est reconnue pour la nature qui l’entoure et le tourisme d’aventure. Le comité souhaitait que l’école en devienne le reflet. En 2019, à la suite d’une étude prévisionnelle, le CSS a pris la décision de fermer définitivement l’établissement.
Ces histoires se répètent dans plusieurs territoires ruraux au Québec. Désignés par le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES) comme des « petites écoles », ces établissements de cycle primaire comptant moins de 100 élèves composent avec les conséquences des transformations des régions rurales causées, entre autres, par une importante baisse démographique et une restructuration des secteurs économiques (ISQ 2019). À travers la mise en œuvre d’initiatives pédagogiques, mon étude doctorale examine, dans ce contexte, comment des groupes d’acteurs investissent, ou non, ces petites écoles à titre de projet social et politique. Comment l’école devient-elle, ou non, le lieu « d’un faire ensemble »?
Sans aborder de manière frontale la notion de résilience dans ma recherche, les projets étudiés évoquent une capacité, ou du moins une volonté des acteurs, à agir face à un horizon incertain ou encore à (re)déployer des actions collectives devant des difficultés persistantes – l’effritement des services de proximité, l’exode des jeunes, le vieillissement de la population. Le maintien de l’école s’ajoute à des stratégies de développement local au sein de ces municipalités, aux efforts pour alimenter une vie sociale et culturelle dynamique. Comme le mentionne un participant : « Si tu veux quelque chose ici, il faut que tu l’inventes et que tu le crées ». Si cela peut susciter un enthousiasme chez certaines personnes, d’autres seront lasses de mener ce travail de mobilisation. Un manque de relève accentue ce sentiment. Néanmoins, plusieurs de ces milieux font preuve d’une forte philosophie d’autonomie. Certaines de ces municipalités cherchent à concevoir leurs propres outils pour faire face aux difficultés qui se présentent à elles. C’est aussi dans cette perspective que certaines contribuent de manière substantielle au financement d’activités pédagogiques.
Dans ces configurations, l’institution scolaire revêt différents rôles sociaux. Elle est à la fois un lieu de transmission de savoirs et d’apprentissages, mais également un vecteur de développement local pour ces petites municipalités. D’ailleurs, c’est précisément depuis cette double perception que se déploient les débats entourant la fermeture des écoles (Carrier et Beaulieu 1995; CSE 2009). La vocation pédagogique, les défis sous-tendus par un faible nombre d’élèves et de ressources comme l’enjeu de socialisation sont des arguments brandis par certains acteurs pour déplacer les enfants vers des écoles plus populeuses. Pour d’autres, la nécessité d’une éducation de proximité et les conséquences d’une telle fermeture pour l’avenir des milieux ruraux devraient être suffisantes pour évaluer d’autres possibilités. Ceci sous-tend une question nécessaire, celle de l’école comme service public et, donc en filigrane, celle de l’équité et de l’accessibilité pour toutes et tous. Le gouvernement devrait-il avoir la responsabilité de soutenir les milieux qui décident de se mobiliser pour maintenir des services scolaires de proximité? Comment la trajectoire de ces écoles s’inscrit-elle dans un contexte d’effritement des services publics en milieu rural? Les interrogations soulevées dans ce texte structurent l’amorce de mon travail d’analyse.
Image à la une: Lac-Édouard. Photo par Olivia Roy-Malo, 2019.
Bibliographie:
Carrier, Mario et Pierre Beaulieu, 1995. Les petites écoles primaires en milieu rural au Québec : fermeture, maintien ou développement?, Chaire Desjardins en développement des petites collectivités, Rouyn-Noranda : Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.
Conseil supérieur de l’éducation (CSE), 2009. Rapport sur l’état et les besoins de l’éducation 2004-2008. L’éducation en région éloignée : une responsabilité collective, Gouvernement du Québec.
Institut de la statistique du Québec (ISQ), 2019. Panorama des régions du Québec. Édition 2019, [En ligne], Québec, L’Institut, 162 p. [http://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/profils/panorama-regions-2019.pdf]